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dimanche 3 janvier 2010

Retour d'Afrique



Déjà plus de deux semaines que je suis rentré d'Afrique ! C'est fou la facilité qu'a le monde à vous emporter, c'est fou l'aptitude qu'on a à se laisser emporter (par la foule qui nous traîne, nous entraîne...).

Pas si facile de raconter à chaud - ou à tiède, après ce délai - tout ce que ce voyage a été pour moi. Évidemment, il n'est pas indifférent, ce retour sur la terre africaine après dix mois, dix mois marqués par cette maladie contractée en janvier au Cameroun, et dont je sens encore les dernières séquelles. Évidemment il y a eu l'émotion forte des retrouvailles avec les amis de là-bas, qui tous étaient au courant de mon état, se sont inquiétés, ont chacun à sa façon prié, imploré, pour que je guérisse. Je ne crois pas qu'il y ait eu des sacrifices, mais de quoi puis-je être sûr...?


Et puis lorsqu'il y a un sacrifice (poulet, mouton...) ça veut dire que les gens mangent de la viande après... rien ne se perd, pas de gâchis...

Et finalement surtout des questions. Que suis-je allé chercher dans ce pays, depuis six ans que j'y retourne presque régulièrement ? Comme le sujet de mon film se trouve par la force (ou l'inertie) des choses modifié, perturbé, décalé par rapport au projet initial, je dois reconstruire un fil conducteur, et ça me pousse à creuser, à me creuser le ciboulot.


Juste avant de repartir, j'ai passé une soirée avec mon pote Didier B., et on a causé de nos histoires, celles de deux Français qui aiment beaucoup l'Afrique au point d'y aller tourner des films...

Bien sûr, on a des idées, on a des choses à raconter : montrer la situation de ces pays, de leurs habitants, chercher à s'inscrire en faux contre "ce qu'on dit", "ce que la télé montre", parler des restes bien vivaces de la colonisation et de ses nouvelles formes, dénoncer les agissements des corrompus et des corrupteurs, montrer les dégâts ainsi causés. Parler de l'envahissement par les Chinois, par les Américains qui nous doublent sur la droite, "nous, colonisateurs depuis si longtemps" qui aurions acquis une sorte de droit d'aînesse, d'ancienneté...

Oui, et encore diriger les projecteurs, l'œil de nos caméras vers les Africain(e)s qui ne cèdent pas à la fatalité, celles et ceux qui se bougent, qui mènent à bien des initiatives dans un contexte ou l'esprit d'entreprise par les locaux n'est pas, doux euphémisme, encouragé ? Et ainsi faire la démonstration qu'il y a de l'espoir, que l'avenir de l'Afrique est entre les mains des Africain(e)s...

Non mais la question à laquelle nous n'échapperons pas, Didier pas plus que moi, c'est : mais qu'allons nous chercher là-bas que nous ne trouvons pas ici, quelle est la curiosité qui nous pousse à y retourner encore et encore, puisque nous sommes des balayeurs (balayer d'un mouvement de caméra...), pourquoi ne balayons pas d'abord devant notre porte ?


J'ai des réponses depuis longtemps. Elle m'ont satisfait pendant des années. Je disais qu'aller en Afrique me faisait du bien, me permettait de renouer avec certaines valeurs disparues, enterrées depuis longtemps en occident, et aussi de me confronter à des civilisations, à des systèmes de référence tellement éloignés des miens que ça me bougeait, me perturbait et que ces turbulences intérieures m'étaient profitables pour l'exercice sacro-saint de la remise en question permanente...

Dans un autre registre, je me sentais comme investi d'une mission, celle de faire connaître dans mes contrées le mode de vie des Africains, frères et sœurs d'Afrique. Enfin, si l'on commence comme ça, on peut dérouler une kyrielle de réponses, sans jamais se poser la question centrale, celle du pourquoi nous, pourquoi je vais faire des films là-bas...


Je ne suis pas ethnologue, pas plus anthropologue, je n'ai pas lu tout Levy-Strauss, j'ai bien éclusé quand même les souvenirs et "impressions d'Afrique" de Miche Leiris (dans "l'Afrique fantôme", qui a été mon livre de chevet durant des mois et des mois), j'ai vu les films, lu les livres sur les Dogons après avoir passé du temps chez eux... Bref je ne suis pas un savant mais j'aime aller en Afrique et regarder ce qu'il s'y passe, trouver ce que je peux montrer avec "la bienveillance" généreuse qui caractérise mon attitude de cinéaste documentariste filmant en Afrique.


C'est sain, de se poser des questions... Pendant ce temps, là-bas, on plante des champs immenses d'OGM, on accueille à bras ouverts tout ce qui vient du reste du monde et qui concurrence déloyalement la production locale depuis qu'on a adhéré à l'OMC, et on envoie des nouveaux esclaves au fond des puits de mine pour "cueillir" les minerais précieux sans lesquels la fabrication de nos jolis téléphones portables ne serait pas possible...

Où je veux en venir, avec mes histoires ?

Je veux juste dire que maintenant que je vais aborder le montage de ces films, le camerounais de l'an dernier sur la souveraineté alimentaire et le burkinabé de fin 2009 (commencé cinq ans auparavant), j'aurai ces interrogations en tête, dont je ne sortirai qu'en cherchant, jusqu'à que je le trouve, le moyen de me les approprier et de les raconter, à travers les films, à qui voudra bien venir les voir.

Autrement dit, l'enjeu consiste à assumer ce que je filme et pourquoi je le filme, sans rester planqué derrière la caméra. Enthousiasmant mais pas gagné d'avance...